Titre :
La vocation de Perceval
Auteur : SuperMiss, alias Nao-asakura
Disclaimer : Astier, tout est à toi.
Note : la suite des “Aventures de
Perceval”, ma relecture toute
personnelle du Conte
du Graal de
Chrétien de Troyes.
Note bis : fic commencée en avril 2008,
terminée en octobre, d’où le
manque d’uniformité.
OoOoO
Dans
le temps, quand Kaamelott
n’était encore qu’un tas de pierres de
taille déchargées à partir de bateaux
en
provenance d’Irlande, Perceval, lui, triait des navets avec
ses parents, au
Pays de Galles. À Kaerdid exactement. Personnellement, il
s’en accommodait fort
bien ; le boulot était tranquille, on le laissait
ranger les légumes par
ordre de taille et suivant leur rugosité, selon son bon
plaisir. C’était le bon
temps, à part quand il pleuvait, et que le terrain autour de
la ferme familiale
se transformait en vaste champ de boue.
S’il
partit un matin, emportant
avec lui quelques affaires et deux chevaux mal en point, ce
n’était pas en
quête de prestige ou d’aventure, mais à
cause d’une rumeur, une légende qui
commençait à se répandre, de village
en village, de taverne en taverne. On
parlait d’un roi, et de son projet fou d’unir la
Bretagne.
Enfin,
en vérité, dans les tavernes
du Pays de Galles, on pestait surtout contre ce bâtard
proclamé roi uniquement
par la volonté des Romains, et on complotait jusque tard
dans la nuit afin de
conserver l’indépendance du pays. Comme les
soirées se finissaient la plupart
du temps par des comas éthyliques, le nouveau Roi de Logres
n’avait pas
beaucoup de soucis à se faire.
Perceval
avait écouté ces
légendes et il avait commencé à
rêver. Rêver qu’il aidait cet homme qui
faisait
tant parler de lui. Le prestige, il le prendrait en
supplément, tant qu’à
faire. Il avait cru comprendre qu’ils recrutaient des
chevaliers, et niveau
poste de prestige on ne pouvait pas mieux faire.
OoOoO
En
chemin, il rencontra un pépé
qui voulut lui enseigner la chevalerie. Gorneman, qu’il
s’appelait. Soi-disant
que sans épée il serait incapable de combattre,
et que sans éducation
chevaleresque, il se ferait jeter comme un malpropre sitôt
arrivé à la cour
d’Arthur. Il avait l’air d’en
connaître un rayon, tout décrépit
qu’il fût, mais
Perceval lui rétorqua que trimballer une
épée c’était un coup
à se faire mal,
ou pire encore, se faire attaquer en chemin, et qu’il montait
assez bien à
cheval comme ça, pas besoin de cours, merci bonsoir. Le
vieux eut l’air dépité,
mais bon, ça se comprenait, ce n’était
pas lui qui allait faire partie de la
légende.
Cette
histoire de Graal, de
quête, de légende même, il
n’était pas certain d’en avoir saisi
tous les
tenants et les aboutissants, mais de taverne en taverne, il
commençait à se
faire une idée. Le Graal, apparemment,
c’était juste un nom compliqué pour une
pièce d’un service à vaisselle, perdue
depuis des lustres par un pote du Christ,
d’après ses informations. Un truc important,
semblait-il.
La
quête, c’était la lubie du
nouveau roi. Perceval n’était visiblement pas le
seul à ne pas comprendre
clairement l’utilité de la chose, mais
ça restait toutefois une occupation
comme une autre, après tout.
Il
n’y avait plus que cette
histoire de légende, et là les choses se
corsaient un peu. Jusqu’à présent, il
avait toujours tenu pour acquis qu’une légende,
c’était une histoire comme on
en trouvait dans les livres, dans les récits pour les
enfants, au théâtre même.
Des monstres, des héros, des aventures.
Mais
la Bretagne était en train
de changer, et les mots avec elle. À présent, la
légende était, disait-on, en
marche, et Perceval se demandait anxieusement s’il
parviendrait à la rattraper.
Si elle avait été lancée en plein
galop, ça aurait été plus
inquiétant, cela
dit, aussi il avait bon espoir d’arriver à temps.
OoOoO
Quand
il posa pour la première
fois les yeux sur le château de Kaamelott, il fut pris
d’une angoisse en se
demandant si c’était eux qui avaient construit le
tout vraiment rapidement, ou
lui qui avait été particulièrement
lent sur la route. Cela dit, avec les
chevaux idiots qu’il se trimballait… Et puis il y
avait eu ce détour
malencontreux vers le Nord. Et ce type qui l’accusait de lui
avoir volé des
pains. L’un dans l’autre, ils ne devaient pas avoir
construit si rapidement que
ça en fin de compte.
À
Kaamelott, dans le village même,
au pied de la forteresse, tout semblait aller plus vite. Les gens
avaient tous
l’air pressés ; la légende
à rattraper, sans doute. Il se fit traiter de
con treize fois en une demi-heure, ce qui était quasiment un
record personnel,
aussi il s’assit à l’ombre pour observer
un peu tout ce petit monde
tourbillonnant avant de faire quoi que ce soit.
Il
vit passer des chevaliers – ça
en était indiscutablement tant leur armure brillait au
soleil, tout comme leur
épée à la garde finement
ornée. Perceval n’était pas vraiment
envieux ;
les armures encombraient plus qu’autre chose, et la sienne
était disséminée
dans plusieurs de ses sacs. Quant à risquer de se blesser
sur une épée, décorée
ou non, ça ne le tentait pas tellement. Les autres passants
étaient principalement
des paysans, cradingues et bruyants.
Un
homme arriva à cheval, et
Perceval sut que c’était le Roi.
Peut-être que le fait qu’un des marchands,
vêtu comme un étranger, se fût
approché en gueulant : « Ah,
sire ! Bon voyage ? »
l’avait un peu aidé, c’est vrai. Il ne
bougea pas, ne s’approcha pas, parce qu’il savait
d’expérience qu’il se ferait
seulement jeter et qu’il aurait alors fait tout ce chemin
pour rien.
Une
fois qu’il eut mis pied à
terre, le Roi se révéla étonnamment
petit ; un roi à taille humaine en
somme. De là où il se trouvait, Perceval
n’entendait que des bribes d’une
conversation animée. Le marchand, qui s’appelait
Venec à entendre le Roi, se
fit traiter de tous les noms, entre autres de voleur,
d’arnaqueur et de
traine-savate, et après avoir menacé de le faire
jeter au cachot, Arthur le
planta là et passa la grande porte en fulminant.
« Bonne journée quand
même, sire ! » lança
de loin le marchand, avec dans la voix une
intonation à la fois interrogative et ironique, incertaine.
OoOoO
À
ce moment seulement, Perceval
se décida à agir et se dirigea d’un pas
décidé en direction du marchand aux
drôles de vêtements. Si ça,
c’était pas une technique d’approche
posée et réfléchie !
L’autre pépé dans sa forêt
aurait été fier de lui.
Perceval
avait remarqué, à force,
que moins il parlait, mieux les conversations se
déroulaient. Aussi il laissa
Venec faire le plus gros du travail, ce dont celui-ci semblait fort
bien
s’accommoder.
« Nouveau
par ici,
hein ! » fit-il, avec un geste en direction
des deux chevaux, qui
pantelaient à l’ombre du chêne,
derrière Perceval. « Sont pas
à vendre,
les canassons par hasard ? Parce
qu’y’aurait du blé à se
faire, même s’ils
ont pas l’air au meilleur de leur
forme… »
Le
regard concupiscent s’effaça
peu à peu, quand un des chevaux se mit à trembler
sur ses pattes, pour laisser
place à une réelle curiosité.
« Je
parie que vous venez
pour le poste de chevalier, je me trompe ? Ça
n’arrête pas depuis des mois.
Enfin, je dois dire que vous avez pas trop l’allure, vous, et
c’est quoi qui
fouette comme ça,
d’ailleurs ? » Il recula
d’un pas, dévisageant le Gallois
qui sortit à regret de son mutisme commode.
« Je
suis tombé…
–
Laissez-moi deviner, dans la
fosse à purin du vieux Kay ? »
Il riait de bon cœur à présent, et
Perceval ne dit rien, parce que de toute façon
c’était vrai, et que depuis ce
matin tout le monde se foutait de lui.
–
Remarquez, z’êtes pas le
premier à qui ça arrive, pas plus tard que ce
matin, le Seigneur Caradoc s’est
pointé tout couvert de…
–
Je voudrais… » Et à ce
moment précis, Perceval, le paysan qui se rêvait
chevalier, eut un gros doute sur
ce qu’il voulait réellement, et sur ce
qu’il devait dire. Il poursuivit
néanmoins, « …
participer.
–
Vous tombez bien, c’est comme
qui dirait la journée portes ouvertes
aujourd’hui, » fit Venec en lui
tapant dans le dos. Il le regarda passer les portes d’un pas
qui se voulait
décidé, mais dont le purin
séché amenuisait quelque peu l’impact.
Puis il secoua
la tête en s’essuyant pensivement la main.
OoOoO
À
l’intérieur même du château se
pressaient, il est vrai, tout un tas de chevaliers, dont les armures
brillaient, un tantinet moins qu’à
l’extérieur en raison du défaut
d’éclairage,
mais tout de même. Perceval rasait littéralement
les murs, continuant à avancer
dans les couloirs sombres comme s’il savait où il
allait. Personne ne lui
demanda ce qu’il foutait là, ce qui
était assez exceptionnel en soi.
Une
voix qui récitait quelque
chose dans un langage qui lui était inconnu le fit
s’arrêter devant une petite
porte entrebâillée. En y jetant un œil,
il distingua une grande salle bondée de
chevaliers en armes et de gens bien habillés, qui avaient
tous l’air sérieux.
Un très grand prêtre
décharné lisait des passages d’un gros
livre à la reliure
de cuir.
Un
des chevaliers présents
s’avança, récita quelque chose
à son tour, avant de poser un genou à terre
devant le Roi.
Confusément, la
pensée
que cela devrait être lui, à cet instant
précis, en face du Roi, traversa
l’esprit de Perceval. Alors, Arthur sortit son
épée, celle qui étincelait comme
un joyau, et Perceval retint son souffle quand le glaive vint se poser
successivement sur les deux épaules du jeune chevalier
agenouillé.
Puis
celui-ci se releva en
s’époussetant, le Roi rengaina Excalibur et le
prêtre referma son bouquin, tout
monde s’agita et se dirigea vers les portes à
double battant ; en moins de
deux minutes, la grande salle était vide. Perceval
réfléchissait toujours à ce
qu’il avait vu quand il tomba nez à nez avec
Arthur qui sortait de la salle par
la petite porte dérobée.
« Je
viens, » bégaya
Perceval, pris de cours, « je suis venu
pour… enfin, vous savez, la
légende quoi, ce qu’il y a à
rattraper… »
Le
Roi n’eut pas l’air de
comprendre, et sa seule réaction fut un sourcil qui se
dressa d’un air
circonspect. La suite ne venant pas, il fit mine de contourner
l’intrus.
« J’ai pas toute la journée,
alors vous m’excuserez… »
Voyant
s’amenuiser ses chances
d’entrer dans l’équipe prestigieuse de
Kaamelott et craignant de louper cette opportunité
de se rapprocher de ce Roi si lumineux, Perceval tenta une autre
approche,
essayant de formuler ce qu’il souhaitait.
« Je suis là pour
missionner, » fit-il avec le sourire de celui qui
croit que ce qu’il vient
de dire explique tout.
Nouveau
sourcil levé chez son
interlocuteur plus que dubitatif. « Vous
êtes… un missionnaire ? Vous
savez les religieux c’est pas trop notre truc par ici. Enfin,
on se coltine ce
grand dadais de père Blaise parce qu’il faut bien,
mais c’est plus pour
retranscrire la légende qu’autre chose…
–
C’est ça ! »
s’écria
Perceval subitement. « La
légende !
–
Ah mais vous êtes chevalier en
fait ?
–
J’ai un cheval. »
Arthur
roula des yeux, refrénant
l’envie pressante de se masser les tempes ou de coller un
pain à ce énième
énergumène pas fichu de tenir une
épée qui se prenait pour un chevalier. Et
qu’est-ce qui puait comme ça… ?
« Vous
représentez quel
clan ? » La question était
simple, claire et concise, mais vu la tête
que tira le blond en face de lui, elle avait l’air de lui
poser problème.
Arthur se radoucit – après tout, ils auraient
besoin du plus de personnes
possible, et les volontaires, même inconnus, pas
très malins et couverts de
purin séché leur seraient utiles.
Sûrement. « Vous venez
d’où ? »
reformula-t-il doucement.
–
De Kaerdid, mais de là à
dire que c’est un clan… C’est juste moi
et mes vieux, ma mémé aussi,
mais… »
Arthur l’interrompit en levant une main autoritaire, car au
rythme où ça
allait, il allait se retrouver avec un historique familial complet.
–
Et vous voulez aider ?
C’est bien, c’est très bien
ça… »
Déjà il s’éloignait en
marmonnant pour
lui-même. « Démerdez-vous pour
qu’on vous trouve une chambre, on verra le
reste après,
Seigneur… ? »
Après
un petit temps de retard le
temps de comprendre qu’Arthur attendait son nom, le nouveau
chevalier de
Kaerdid s’empressa de
répondre, « Perceval,
sire. »
Jamais
Arthur n’aurait pu
soupçonner quel plaisir ce fut à cet instant pour
le jeune homme de prononcer
ce mot de “sire”.
FIN