Chapitre VI : Juste une petite migraine

 

Il y a quelques mois de cela – six peut-être – William Einberg était encore un pauvre type sans soucis, qui vivait une vie rangée et tranquille, dans l’appart de sa copine, une jeune femme de bonne famille. En bordure de la ville, dans une jolie résidence pavillonnaire, avec des parterres entretenus et des voisins qui vous saluaient chaque matin quand ils vous croisaient dans l’ascenseur. C’était presque trop propret pour William, mais il devait penser, inconsciemment, qu’il était temps de fonder un semblant de famille, et de se poser quelque part, même si ça impliquait de faire des concessions.

Et des concessions, il en avait fait, en deux ans, depuis qu’il avait rencontré la jolie Mathilde. Une fille polie, qui détestait l’alcool, la musique trop forte et les sorties en groupe. Une fille difficile à vivre, si on y réfléchissait sérieusement ; mais quand on est amoureux, on ne voit pas tous ces détails qui vous rendent la vie impossible une fois qu’on est “en couple”. William avait le sentiment de vivre chez elle, éternel invité dans un appartement trop blanc et trop rangé. Il n’avait pas le droit d’écouter sa “musique de sauvages”, les bières étaient bannies de leur frigo et il devait faire attention à toujours ranger ses affaires pour ne pas avoir à subir le courroux de Mathilde.

Avec le recul, s’il avait eu le temps et l’envie de se pencher sur la question, William aurait aisément compris que son attachement pour Mathilde tenait au fait qu’elle était aussi lisse en surface qu’à l’intérieur. A l’époque il ne maitrisait rien, il n’entrait pas encore dans l’esprit de ses voisins, mais il ressentait, sans le savoir, les sentiments de ceux qu’il côtoyait. C’est pour ça, sans doute, qu’il ne parvenait pas à garder un boulot plus de trois mois, et qu’il passait son temps à éviter certaines personnes. Comme quand il était petit ; un rejet physique, inexpliqué, contre lequel il ne pouvait rien. Avec Mathilde, c’était différent. Avec elle, il se sentait bien, il n’avait plus envie de fuir.

A défaut de pouvoir se faire embaucher dans une boite – il n’avait pas vraiment de diplôme à avancer et absolument aucune motivation personnelle – il s’était établi comme journaliste freelance ; il pouvait passer d’un contrat à l’autre, changer de patron et d’intermédiaire au gré de ses envies, et surtout il n’avait quasiment pas besoin de sortir de chez lui. Le point négatif était qu’il n’était pas souvent payé, mais là encore, Mathilde lui fournissait une solution de facilité ; elle travaillait comme notaire dans le cabinet familial, et l’argent n’était pas un problème pour elle.

De l’avis des rares amis du couple – des connaissances de Mathilde, surtout – William aurait dû chercher un vrai boulot et se faire couper les cheveux. Il ne faisait pas assez bourgeois, il n’avait pas d’éducation, et dans le petit monde de Mathilde, où les gens “de bonne famille” étaient mis en avant, un orphelin qui n’avait pas gardé le moindre lien avec les gens chez qui il était resté jusqu’à sa majorité, ça ne passait pas vraiment. Mais William ne s’était jamais énervé, il n’avait jamais élevé la voix sur ces pouffiasses qui le critiquaient dans son dos, et il savait que Mathilde lui en était reconnaissante, même si elle ne le lui disait pas.

.: Nao - 2009-2010 :.
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